• La raison du plus fort est toujours la meilleure :
    Nous l'allons montrer tout à l'heure.
    Un Agneau se désaltérait
    Dans le courant d'une onde pure.
    Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
    Et que la faim en ces lieux attirait.
    Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
    Dit cet animal plein de rage :
    Tu seras châtié de ta témérité.
    - Sire, répond l'Agneau, que votre Majesté
    Ne se mette pas en colère ;
    Mais plutôt qu'elle considère
    Que je me vas désaltérant
    Dans le courant,
    Plus de vingt pas au-dessous d'Elle,
    Et que par conséquent, en aucune façon,
    Je ne puis troubler sa boisson.
    - Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
    Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
    - Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
    Reprit l'Agneau, je tette encor ma mère.
    - Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
    - Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens :
    Car vous ne m'épargnez guère,
    Vous, vos bergers, et vos chiens.
    On me l'a dit : il faut que je me venge.
    Là-dessus, au fond des forêts
    Le Loup l'emporte, et puis le mange,
    Sans autre forme de procès.

     

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  • Autrefois le Rat de ville
    Invita le Rat des champs,
    D'une façon fort civile,
    A des reliefs d'Ortolans*.
    Sur un Tapis de Turquie*
    Le couvert se trouva mis.
    Je laisse à penser la vie
    Que firent ces deux amis.
    Le régal fut fort honnête,
    Rien ne manquait au festin ;
    Mais quelqu'un troubla la fête
    Pendant qu'ils étaient en train.
    A la porte de la salle
    Ils entendirent du bruit :
    Le Rat de ville détale ;
    Son camarade le suit.
    Le bruit cesse, on se retire :
    Rats en campagne* aussitôt ;
    Et le citadin de dire :
    Achevons tout notre rôt.
    - C'est assez, dit le rustique ;
    Demain vous viendrez chez moi :
    Ce n'est pas que je me pique
    De tous vos festins de Roi ;
    Mais rien ne vient m'interrompre :
    Je mange tout à loisir.
    Adieu donc ; fi* du plaisir
    Que la crainte peut corrompre.

     

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  •   

          Une Hirondelle en ses voyages
    Avait beaucoup appris.
    Quiconque a beaucoup vu
    Peut avoir beaucoup retenu.
    Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
    Et devant qu'ils fussent éclos,
    Les annonçait aux Matelots.
    Il arriva qu'au temps que le chanvre se sème,
    Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
    "Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :
    Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,
    Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.
    Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
    Un jour viendra, qui n'est pas loin,
    Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
    De là naîtront engins à vous envelopper,
    Et lacets pour vous attraper,
    Enfin mainte et mainte machine
    Qui causera dans la saison
    Votre mort ou votre prison :
    Gare la cage ou le chaudron !
    C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,
    Mangez ce grain; et croyez-moi. "
    Les Oiseaux se moquèrent d'elle :
    Ils trouvaient aux champs trop de quoi.
    Quand la chènevière* fut verte,
    L'Hirondelle leur dit : "Arrachez brin à brin
    Ce qu'a produit ce maudit grain,
    Ou soyez sûrs de votre perte.
    - Prophète de malheur, babillarde, dit-on,
    Le bel emploi que tu nous donnes !
    Il nous faudrait mille personnes
    Pour éplucher tout ce canton. "
    La chanvre étant tout à fait crue,
    L'Hirondelle ajouta : "Ceci ne va pas bien;
    Mauvaise graine est tôt venue.
    Mais puisque jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,
    Dès que vous verrez que la terre
    Sera couverte, et qu'à leurs blés
    Les gens n'étant plus occupés
    Feront aux oisillons la guerre ;
    Quand reginglettes* et réseaux
    Attraperont petits Oiseaux,
    Ne volez plus de place en place,
    Demeurez au logis, ou changez de climat :
    Imitez le Canard, la Grue, et la Bécasse.
    Mais vous n'êtes pas en état
    De passer, comme nous, les déserts et les ondes,
    Ni d'aller chercher d'autres mondes ;
    C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr :
    C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur. "
    Les Oisillons, las de l'entendre,
    Se mirent à jaser aussi confusément
    Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre
    Ouvrait la bouche seulement.
    Il en prit aux uns comme aux autres :
    Maint oisillon se vit esclave retenu.
    Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres,
    Et ne croyons le mal que quand il est venu

     

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  • Jupiter dit un jour : "Que tout ce qui respire
    S'en vienne comparaître aux pieds de ma grandeur :
    Si dans son composé quelqu'un trouve à redire,
    Il peut le déclarer sans peur ;
    Je mettrai remède à la chose.
    Venez, Singe ; parlez le premier, et pour cause.
    Voyez ces animaux, faites comparaison
    De leurs beautés avec les vôtres.
    Etes-vous satisfait? - Moi ? dit-il, pourquoi non ?
    N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ?
    Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché ;
    Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a qu'ébauché :
    Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. "
    L'Ours venant là-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre.
    Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort
    Glosa sur l'Eléphant, dit qu'on pourrait encor
    Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles ;
    Que c'était une masse informe et sans beauté.
    L'Eléphant étant écouté,
    Tout sage qu'il était, dit des choses pareilles.
    Il jugea qu'à son appétit
    Dame Baleine était trop grosse.
    Dame Fourmi trouva le Ciron* trop petit,
    Se croyant, pour elle, un colosse.
    Jupin les renvoya s'étant censurés tous,
    Du reste, contents d'eux ; mais parmi les plus fous
    Notre espèce excella ; car tout ce que nous sommes,
    Lynx envers nos pareils, et Taupes envers nous,
    Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :
    On se voit d'un autre oeil qu'on ne voit son prochain.
    Le Fabricateur souverain
    Nous créa Besaciers tous de même manière,
    Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui :
    Il fit pour nos défauts la poche de derrière,
    Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

     

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  • La Génisse, la Chèvre, et leur soeur la Brebis,
    Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
    Firent société, dit-on, au temps jadis,
    Et mirent en commun le gain et le dommage.
    Dans les lacs de la Chèvre un Cerf se trouva pris.
    Vers ses associés aussitôt elle envoie.
    Eux venus, le Lion par ses ongles compta*,
    Et dit : "Nous sommes quatre à partager la proie. "
    Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
    Prit pour lui la première en qualité de Sire :
    "Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,
    C'est que je m'appelle Lion :
    A cela l'on n'a rien à dire.
    La seconde, par droit, me doit échoir encor :
    Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort
    Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
    Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,
    Je l'étranglerai tout d'abord. "

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